J’aime les moments de la vie où
l’on plonge dans les vagues entre le sable et la haute mer.
Tout près, à quelques mètres,
la mer tranquille – vagues régulières, rassurantes. Sur l’horizon le ciel est
gris, des courants bleus verticaux jouent sur l’horizon, pâles, vivants.
Je les crée par mon regard.
J’incendie la haute mer avec ce
bleu si doux, magique que mon regard opère.
Je suis entré dans l’espace de
chaos où les vagues brisent leur élan.
Je n’ai pas peur de celle qui
vient. J’en ai vu d’autres.
Me voici emporté, roulé dans le
sable, subjugué. Je consens au désarroi.
Je trouve normal, juste de me
trouver balayé, heureux, ridicule.
Je me range du côté du plus
fort, j’approuve l’océan quand il me rejette sans me voir, sans me connaître.
Je sais bien que je n’ai pas le droit d’être dans cet espace interdit.
Pourtant j’ai toujours vécu dans les espaces
incertains, aux frontières.
Je suis ici, sur cette plage, pour préparer une
expédition frontalière.
A la recherche de la plante magique qui donne la
maîtrise du temps.
Nous sommes trois hommes, entraînés, déterminés.
Nous savons que la plante magique est à cueillir au
cœur de l’Être, si on lui permet de pousser… Fleur de parole
– Où irons-nous pour réussir cette culture ?
Comment ?
Un de nous a rêvé d’un poisson d’aquarium – de
couleur orange.
Il traverse le verre de l’aquarium et pénètre dans
le bras du rêveur – C’est une présence amicale, chaleureuse, il suffit d’une
caresse pour l’évacuer.
A la fin du récit, nous remarquons une dorade,
fraîche et colorée, qui vient de s’échouer, morte, à nos pieds.
Nous rions en disant qu’elle vient de sortir du bras
de notre ami. Nous rentrons.
A table, nous pensons au poisson échoué et nous
parlons :
Comme elle nous ressemble !
Etrangère à sa tribu, que faisait-elle dans ces eaux
violentes, dans ce ressac imprévisible.
Nous célébrons le deuil de la dorade mystique qui,
pour connaître le toucher du soleil ardent sur le sable sec, a dépassé ses
propres limites.
Nous nous apitoyons sur la mort inutile du beau
poisson passionné.
Pourquoi tant d’efforts ?
Toi aussi, comme nous, cherches-tu la parole ?
Quoi de plus muet qu’un poisson mort ?
Nous ne t’avons même pas ramassé et mangé.
Tu t’es échoué sur un rivage cruel à la recherche
d’êtres supérieurs qui ne t’ont pas accueilli…
Elle a tout perdu, cette dorade !
Pourtant, a dit l’un de nous, elle a réussi au-delà
de ses espoirs les plus fous. Nous parlons d’elle, nous parlons à cause d’elle.
Le poisson muet échoué, parce que nous parlons de
lui, devient poisson glorieux.
Poisson muet par qui la parole advient.
Tu crois que les anges ont
besoin de ta carcasse pour trouver la parole ? a questionné un ami après
un moment de silence.
Pourquoi pas, si j’échoue à leurs pieds, dans leur
monde ?
Alain