jeudi 13 mars 2014

Les trois danses



 « […] Alors j’ai commencé une danse que je ne connais pas, une danse qui a coulé dans mes gestes en mouvements souples, lents ou rapides, suivant un rythme inconnu… J’ai dansé, c’est-à-dire que pour la première fois de ma vie, j’ai compris ce qu’était une danse : je m’étais ouverte à la vie dansante qui nous anime toutes et tous. Je dansais bien sûr la danse des éléments : je dansais l’eau, le feu, la terre, l’air, je dansais la montée de la sève, je dansais l’hiver, la force du printemps, je dansais la joie de mourir, la joie de vivre, la joie de naître, je dansais la course du temps, je dansais l’espace qui s’enroule sur lui-même. Je dansais aussi la danse des aurores boréales, le souffle qui vient d’ailleurs, je dansais la connaissance qui s’insinue dans chaque articulation, qui pénètre dans un corps, qui coule dans la cellule… Je chantais la connaissance infinie qui fait s’épanouir la feuille : elle venait dans mes yeux et mes yeux scintillaient, je les sentais pulser.
J’ai compris que mes yeux donnent la lumière autant qu’ils la prennent et c’était une joie étonnante pour moi de vivre la pulsation de mes yeux. Je sentais que mon œil droit et mon œil gauche fonctionnaient en un balancement lent et puissant en deux dimensions différentes. J’ai perçu ce double balancement gagner ma tête, et à l’intérieur de ma tête, une pulsation lente et irrésistible. J’étais animée par cette pulsation qui a gagné lentement tout mon côté droit et tout mon côté gauche. Au-dessus de ma tête, une zone de silence, un espace silencieux s’est formé qui, lui aussi, entrait dans la danse, un silence pulsatoire … et là, la pulsation jumelle accueillait le Troisième, Celui dont je ne peux rien dire, le feu subtil, l’intense, la source, l’abstraction vivante, le germe, la semence.
Alors j’ai connu le mouvement et j’ai compris que le mouvement c’est une superposition harmonieuse de trois danses : la danse musculaire, la danse intérieure du rythme des énergies et la vibration incroyablement rapide de l’Esprit qui module des sons qui, à eux seuls, sont d’éclatantes symphonies… J’ai dansé les trois, j’ai dansé les trois simultanément. […] »
Extrait
Alain Masson, La Lumière qui voit, document de travail, janvier 1998, p.52
C’est Jeanne, un personnage du récit, qui nous raconte.